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LES POÈTES DU TERROIR

Mais qui mal leur fait, je vous jure
Qu’ilz veulent leurs forfaiz vengier,
Paine mettre à eulx revongier,
Soient séculier ou d’église,
Sanz la riote commencier :
Toutes gens n’ont pas ceste guise.
Et pour leurs fais ramentevoir,
Habiles sont à l’escripture
Les pluseurs, et à concepvoir,
Dont cinq d’iceulx mets en figure :
— Le Mangeur qui, par très grant cure,
Veut scolastique traictier ;
— Saincte More, — Ovide esclairer ;
— Vittry, — Machault de haulte emprise,
Poètes, que musique ot chier
Toutes gens n’ont pas ceste guise.

Princes, le cinq fait à prisier
Clamenges et auctorisier,
Que rethorique loue et prise
Et tout ly poete estrangier :
Cilz est de Langres tresorier.
Toutes gens n’ont pas cette guise.

Eustache Deschamps est un satirique de belle envolée. Moins profond, mais d’une ironie plus aiguë, d’une fantaisie sans cesse en éveil, apparaît le Clerc de Troyes. Son « roman » n’est en définitive qu’un recueil de récits facétieux, de fables, d’allégories et de proverbes ; mais quelle imagination et quel coloris en ces pages ! On ne s’étonne point qu’il ait fourni au bonhomme La Fontaine quelques motifs d’inspiration [1]. Sur ce texte, se clôt l’ère féconde d’une littérature provinciale. On trouvera bien encore, par la suite, quelques grandes figures, mais elles ne nous feront point oublier les fastes du passé. Prosper Tarbé, dans une excellente introduction à son Romancero, a donné une longue liste de poètes champenois qui se sont signalés après la Renaissance. On y lit les noms de Raoul de Navières, de Claude Colet, de François Angier, de Jacques Dorat. — qu’il ne faut pas confondre avec l’étoile de la Pléiade, — de Jean Morel,

  1. On lui doit cette définition du caractère champenois au xixe siècle :

    En Picardie sont li bourdeur,
    Et en Champaigne li buveur :
    Et si sont li bon despancier,
    Et si sont bon convenancier.
    Telz n’a vaillant un angerin.
    Qui, chaseun jor, viaut boire vin,
    Et viaut suir la compaignie,
    Et tant boire que laingue lie :
    Ft quant ce vient aux cops donner,
    Ils se sevent bien remuer.

    (Roman du Renard contrefait,
    Bibl. Nat., ms. 7630.)