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Champagne

de Jean de Brie, de Pierre de Larivey, de René de la Chèze ; mais à côté de ceux-ci que de héros obscurs et dignes de l’ètre ! Les xve, xvie et xviie siècles peuvent néanmoins revendiquer pour quelques-uns de leurs enfants une place glorieuse au sommet du Parnasse. On connaît le chanoine de Reims, Guillaume Coquillart, homme grave et facétieux à la fois, né pour la chicane et le calembour, et ce caustique amer, Jean Passerat, l’un des concepteurs de la fameuse Satire Ménippée. Après eux, c’est le silence que seuls troubleront les éclats de la renommée du grand Fabuliste et les échos de la Muse insouciante de Maucroix.

Le romantisme respectera cette torpeur, et c’est à peine si de nos jours il se trouvera quelque audacieux pour enfreindre la règle. L’action littéraire, semblable à toute action humaine, s’est déplacée sous la formidable poussée des événements. Les poètes champenois n’auront point cru trahir leurs ancêtres en se mélant à leurs frères de l’Île-de-France et en cueillant des lauriers sur un sol qui ne rappelle que médiocrement leur lieu d’origine. La Champagne, pendant les deux derniers siècles, ne présentera qu’un vaste théatre où se joueront les destinées de la nation. Elle aura non seulement précipité la ruine des Bourbons, en livrant son roi à la souveraineté du peuple, mais, par deux fois, elle assistera, impassible, à la déchéance de l’empire. Ses longues plaines verront, en moins de cent années, le retour de Varenne, la déroute de Waterloo et la triste et douloureuse équipée de Sedan. Quoi de surprenant après cela que ses Muses soient muettes ?

Nous avons fait allusion plus haut à la diversité du paysage champenois. Qu’il nous soit permis, sans rappeler toutefois les vertus de cette terre nombreuse en souvenirs et justement fière de ses crus et de ses coutumes, de dire les ressources des contrées qui l’ont créé. Au demeurant, rien n’est plus varié que ces petits pays de Brie champenoise, de Sénonais, de Bassigny et de Rethelois, ou Ardennes, lesquels s’étendent jusqu’aux confins du terroir wallon et de la Germanie, couvrant une immense superficie.

Michelet s’est plu à distinguer trois degrés du génie français dans la zone vineuse. Tandis qu’il reconnait la fougue et l’ivresse spirituelle du Midi, l’éloquence et la rhétorique bourguignonne, il admet la grâce et l’ironie champenoise. « C’est le deruier fruit, observe-t-il, de la France, et le plus délicat… Rien qu’un souffle, il est vrai, mais un souffle d’esprit. À peine doit-il quelque chose à la terre… »

Ailleurs il s’écrie : « Quand vous avez passé les blanches et blafardes campagnes qui s’étendent de Reims à Rethel, la Champagne est finie, les bois commencent : petits moutons des Ardennes. La craie a disparu ; le rouge mat de la tuile fait place