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LES POÈTES DU TERROIR

au sombre éclat de l’ardoise ; les maisons s’enduisent de limaille de fer. Manufactures d’armes, tanneries, ardoisières, tout cela n’égaye pas le pays. Mais la race est distinguée par quelque chose d’intelligent, de sobre, d’économe ; la figure un peu sèche et taillée à vives arètes. Ce caractère de sécheresse et de sévérité n’est point particulier à la petite Genève de Sedan (l’esprit de Charleville et de Sedan ressemble plutôt à la Lorraine), il est partout le même. L’habitant est sérieux. L’esprit critique domine. C’est l’ordinaire chez les gens qui sentent qu’ils valent mieux que leur fortune. Le pays n’est pas riche, et l’ennemi est à deux pas ; cela donne à penser… »

Le vrai caractère de la province est entier dans ce contraste de deux tableaux, l’un uniforme et gris, l’autre accidenté, rude et chaud en couleur. « Pour que le dernier soit complet, représentez-vous l’immense et mystérieuse forèt d’Ardenne (Arduinn, la profonde), avec ses petits chènes et ses clairières, ses souvenirs légendaires ; des landes ou fagnes, couvertes de bruyères ; des vallées pittoresques, parmi lesquelles celle de la Meuse, bordée de rochers fantastiques ; noyez tout cela de brouillards : paysages à la Walter Scott, où les druides accomplirent leurs rites ésotériques et où les La Marck — les sangliers des Ardennes — commirent leurs déprédations et leurs crimes[1] ! »

Là, écrit M. André Donnay, un philologue qui connaît à fond l’Ardenne dialectale, résonnent des patois nombreux se rattachant à quatre dialectes : « Au sud-ouest, dialecte de l’Île-de-France ; à l’est et au centre, dialecte lorrain ; au nord-ouest, dialecte picard ; au nord (vallée de la Meuse en aval du Revin), dialecte wallon. Ce dernier, bien délimité, se distingue nettement des trois autres, lesquels, au contraire, présentent entre eux des zones de transition où il serait difficile de tracer une limite exacte [2]. »

Ajontons que tous ces patois ardennais sont presque entièrement incultes et disparaissent devant les progrès de la langue classique. Ils n’ont fourni jusqu’à ce jour aucune production littéraire, sauf quelques chansons locales. Avons-nous donné en raccourci une image précise de ce que le pays entier, et en particulier la culture française, doivent à la Champagne ? Nous osons le croire, bien que l’étroitesse de notre cadre nous oblige à de nombreuses omissions. Aux poètes dont le choix s’impose et qu’on trouvera plus loin, joignons quelques noms épars. Tout d’abord ceux de quelques anciens : au XVIIe siècle, Nicolas Bergier et Edme Boursault ; au XVIIIe siècle, François Boutard, Simon de Bignicourt, Eustache Le Noble,

  1. Notre France.
  2. Albert Grimaud, La Race et le Terroir.