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LES POÈTES DU TERROIR

Mais, né dans ces beaux lieux, que dans ces lieux je meure ;
Dans ce temple sacré qui touche ma demeure,
Que de l’airain plaintif les tristes tintements
Annoncent de mon cœur les derniers battements.
A ces sons entendus dans tout le voisinage,
Plus d’une bonne vieille, oubliant son ouvrage,
Et laissant un moment reposer son fuseau,
Viendra sur mon linceul pencher le saint flambeau.
Mais lorsque sur la porte on aura mis ma bière.
Chaque passant près d’elle un moment arrêté,
Secouant un rameau dans l’eau sainte humecté,
Prononcera tout bas une courte prière ;
Même les étrangers, en voyant un long deuil
Jusqu’au dernier asile escorter mon cercueil,
Pleureront ma jeunesse en sa fleur moissonnée :
Une mère plaindra ma mère infortunée.
Et quelques vers peut-être iront dans l’avenir,
Gravés sur mon tombeau, porter mon souvenir.

Mais pourquoi m’attrister par ces pensers funèbres ?…
L’espérance en mon sein peut encor se placer,
Un doux rayon encor peut chasser les ténèbres
Où mes jours pâlissants sont près de s’éclipser.
Dieu ! que mon sort un jour serait digne d’envie
Si, dans l’heureux déclin d’une honorable vie.
Je venais, à l’abri de cesvieux marronniers.
Reposer un front blanc, ceint de quelques lauriers !
Fortune ! entends ces vœux, et d’une main prodigue
Porte ailleurs, j’y consens, les trésors, les emplois,
Et ces larges cordons et ces brillantes croix
Que mérite l’honneur et que ravit l’intrigue.

Mais quel que soit le sort qui m’attend en ces lieux,
Pour vivre et pour mourir également propices,
Mes désirs sont contents, et je rends grâce aux Cieux.
Beaux lieux, hâtez-vous donc, de toutes vos délices
Hâtez-vous de combler et mon cœur et mes yeux.
Soit qu’au mal qui m’accable à la fin je sucombe,
Soit que le Ciel me garde encor de longs moments,
Ou j’obtiendrai par vous la fin de mes tourments,
Ou vous m’embellirez le chemin de la tombe.

Œuvres choisies, édit. de 1869.)