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LES POÈTES DU TERROIR

La sève qui, timide hier, filtrait par goutte,
Ruisselle du brin d’herbe à la cime des bois ;
Ainsi de l’orgue ému les sons, qu’un peuple écoute,
Par ses mille tuyaux s’échappent à la fois.

Les nids qui se taisaient jasent sous la feuillée,
— Mystérieux rapports, parités du berceau.
Double vie à cette heure en tous lieux éveillée ;
Le bouton, c’était l’œuf, et la fleur, c’est l’oiseau.

Il est loin, il est loin. — Qu’importe la distance
Du trait inévitable à qui l’a reconnu ?
Demain sur aujourd’hui fatalement s’élance.
Ce qui passe est passé, ce qui vient est venu.

Ah ! pourquoi, chaque année, étranges que nous sommes,
Recommencer la vie et, du fond des hivers
Où le crédule enfant s’agite en nos cœurs d’hommes,
Rêver ciels toujours bleus, prés et bois toujours verts ?

S’il est un jour, s’il est une heure dans l’année,
Où l’on puisse, affrontant l’inexorable loi,
Entre la tige verte et la tige fanée
S’asseoir et respirer, je l’ignore. Pour moi

Dont un rapide éclair résuma la jeunesse,
Et qui, l’œil entraîné vers l’horizon lointain,
Ne songeais qu’avenir, n’aspirais que promesse,
Et que midi surprit dans l’essor du matin,

De mon passé l’image errante et poursuivie
M’explique le présent qui l’absorbe en son cours ;
Dans l’orbe des saisons je vois tourner la vie,
Notre vie est l’année, et nos ans sont des jours.

Chaque nouveau printemps sur notre front plus chauve
Glisse mieux, chaque hiver nouveau sur notre front
Dont la neige sourit à son vol terne et fauve,
Fait sa halte plus longue et son retour plus prompt.

C’est pourquoi je pâlis, blessé par ses atteintes,
À voir la Vipérine, émergeant du rempart
Où les gazons pressés rembrunissent leurs teintes,
De l’été sur sa crête arborer l’étendard.

(Œuvres choisies, 1887, II.)