Page:Van Lerberghe - Contes hors du temps, sd.djvu/19

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mouvement perpétuel, le carré de l’hypoténuse, la recherche de la quadrature du cercle, opération plus laborieuse que les autres et qui faillit faire éclater son cerveau. Un moment il crut avoir réussi au delà de ses espérances, et l’idée du ciel était si loin de lui, qu’il crut qu’il était éveillé. Il regarda entre ses cils : tonnerre de Dieu ! le cauchemar était toujours là, c’était un remords, une malédiction à la fin ; le ciel ne le lâcherait donc jamais ! et subitement radouci, il eut une idée naïve, enfantine, presque saugrenue, éclose dans son cerveau sans qu’il sût pourquoi et qui sans tout ce casse-tête le fit aboutir simplement. Il referma les yeux, décidé à ne plus les rouvrir jamais ; il fit sa prière du soir, demandant à Dieu même par l’intercession de ses saints, dans les termes cent fois redits, de le préserver de tout mauvais songe, de lui donner un sommeil heureux, réparateur et paisible, sans tentations, sans trouble, le sommeil des justes enfin. Il n’avait pas achevé sa prière qu’elle était exaucée.

La vision avait cessé. Il dormait dans une ombre tiède et douce ; il se sentait dormir paisiblement, sans rêves ; c’était une sensation obscure et veloutée, infinie ; il ronflait à poings fermés, le sourire des enfants aux lèvres, comme un bienheureux, et cette demi-conscience même finit par s’obscurcir, par l’abandonner à la paix absolue et inviolable, au bonheur désormais sans tache de la divine grâce de ne plus penser.

 « Messieurs,

…… « Je n’énumérerai pas davantage les éminents services rendus par le défunt à la société, les nombreuses associations de philanthropie et d’art où il a si généreusement donné de sa personne, les notables progrès qu’il a apportés à cette branche de l’industrie, où il avait acquis, pendant sa trop courte carrière, une situation si haute et si enviée, mérites qui éclatent aux yeux de tous et que Sa Majesté naguère a daigné récompenser par la croix de son ordre ; qu’il me suffise de constater en terminant que celui qui a été si inopinément enlevé à l’affection des siens au milieu des saines et joyeuses festivités de la famille[1], était un homme de grand cœur. Profondément généreux et probe, il avait su conquérir des sympathies dans tous les rangs de la société. Il était dévoué à sa famille, à sa patrie, il est resté fidèle aux convictions de sa jeunesse, sans toutefois en exclure la large tolérance d’un vigoureux esprit ouvert à tous les progrès.

« Adieu, cher ami, tandis que nous te pleurons sur cette fosse trop tôt ouverte, TU DORS DE L’ÉTERNEL SOMMEIL que tu as si bien mérité par les vertus et la sagesse de ta vie.

« Adieu, bon citoyen, bon père de famille, excellent homme, cher ami, adieu ! »

  1. M. X. mourut, en effet, d’une rupture d’anévrisme, le dimanche 6 janvier, fête de l’Épiphanie, vers les 10 heures du soir.

    L’Auteur.