Page:Van Lerberghe - Contes hors du temps, sd.djvu/80

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faim ; les fleurs sont si magnifiques, — aussi fantastiques que les abeilles et les papillons dont elles sont nées — les étoiles, si animées parce que ce sont les fleurs vivantes des cieux supérieurs. Voilà pourquoi ce fleuve a remonté son cours vers le soleil dont il descend et pourquoi cette vieille mère l’oie, cette bergère et son mouton ne sont pas mortes. Et il en doit être de tout ainsi dans l’univers réorganisé selon la loi de la suprême harmonie. C’est ainsi que tout aurait dû être dès l’origine du monde, si Dieu ne s’était trompé et avait consulté les poètes, ou s’il avait réalisé sa propre idée. Toutes ces Idées que nous voyons enfin étaient déjà en lui, le sens pratique seul lui a manqué comme il a manqué en général à tous les grands poètes. Platon, le premier, tenta de réaliser l’idée divine, mais n’y réussit pas. Saint Augustin, après lui, eut une idée géniale et l’énonça clairement : l’Absurde seul est croyable ; il faut croire à l’absurde parce que c’est l’absurde et que tout ce qui est vraisemblable ou humainement raisonnable est faux, antidivin. Saint Augustin échoua parce qu’il comptait trop sur les dieux de ce temps-là, qui étaient de fabrication humaine et sauvage, de véritables monstres à figure d’hommes.

« En présence de leur échec, ils ne voulurent plus se mêler d’être les conseils des dieux, les devinant plus bêtes encore que les hommes et obstinés dans les gâchis et les abominables besognes qu’ils avaient réalisées sous prétexte de créations. Platon dénonça les dieux, les rendit hardiment responsables de tout le mal qui existe dans le monde, de tout le manque de bon sens. En cela il eut du courage. Il osa dire publiquement la vérité aux dieux malgré qu’il en eût coûté cher à Socrate.

« Il avait résolu de chasser les dieux de sa république et de se substituer à eux. C’est ce qui a été réalisé dans l’avenir, le présent actuel dont cette vieille ignore l’histoire, par l’humanité, la sagesse humaine, seule force organisatrice que Platon avait si bien reconnue capable de se passer de dieux. L’âme humaine l’a fait dans la suite des siècles. Elle a réalisé ce que les dieux n’ont pu faire faute de suite dans les idées et de sens pratique. Elle a profité de toutes les expériences des dieux, des poètes et des sages et s’est réorganisée elle-même. Ainsi, finalement, ce sont les poètes qui, en remplaçant les dieux, ont recréé le monde tel qu’il aurait dû être, tel qu’il est aujourd’hui. Et puis, son œuvre faite, la pensée humaine, elle aussi, s’est reposée. Elle a trouvé qu’elle était bonne ; cette fois elle avait raison comme nous le verrons assurément, au cours de notre voyage, et est morte.

« Elle n’a pas voulu survivre à son œuvre sublime ; ce qui lui survit