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achetés sur la côte de Kru (Libéria) ; d’autres provenaient du pays même, mais on les appelait aussi des Krumen afin de jeter de la poudre aux yeux.

Lorsque l’un d’eux, ou plusieurs d’entre eux venaient à s’enfuir, ils ne tardaient pas à être capturés et ramenés par les natifs, parce que ceux-ci savaient que, sans cela, les premiers qui viendraient à la factorerie seraient mis à la chaîne et contraints au travail à la place des fugitifs. Mais, un jour que les esclaves d’une des factoreries de Boma s’étaient enfuis en canot, de telle sorte qu’ils ne pouvaient être repris par les indigènes, le traitant s’en prit à leurs femmes, qui étaient du pays, et, les accusant d’avoir laissé échapper leur maris, les obligea, pendant des années, à travailler à leur place.

« Le dimanche — ajoute Bentley[1] — était le jour consacré à la fois au repos et à la discipline : tous les coups de fouet encourus pendant la semaine étaient appliqués le dimanche matin avant onze heures. Je me souviens avoir entendu des femmes de cette factorerie hurler deux heures durant, pendant qu’elles recevaient, une à une, la correction qui leur était infligée. Rien à faire pour l’empêcher : pas de gouvernement responsable : jamais une canonnière de la nationalité du traitant n’était venue sur le fleuve. »

Je dois dire que d’après M. Delcommune, qui était l’agent de la maison française de Boma, à cette époque, Bentley aurait vu les choses trop en noir.

Certes, le personnel des factoreries se composait d’esclaves, mais d’esclaves libérés. On ne leur donnait aucun salaire, mais on les nourrissait bien et on tâchait de les marier, en leur achetant une femme pour quelques pièces d’étoffe. On les punissait, en employant la palmatoire pour les petites fautes, le fouet, ou plus exactement la verge de joncs — on ne connaissait pas encore la chicotte — pour les fautes plus graves. En cas de crimes, on les livrait aux chefs qui les soumettaient à l’épreuve de la casca, conformément à la coutume du pays.

  1. Bentley, loc. cit., I, pp. 46 et suiv.