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concours d’un assez grand nombre de mulâtres, la république nègre d’Haïti.

On cite, généralement, l’exemple d’Haïti pour prouver l’incapacité radicale des nègres à se gouverner.

Il serait plus exact de dire : l’incapacité radicale des nègres à se gouverner suivant le mode européen : car malgré les désordres, les conspirations, les révolutions à la fois tragiques et bouffonnes, les changements de personnel gouvernemental, qui ne sont d’ailleurs pas plus fréquents à Haïti que dans beaucoup de républiques sud-américaines, les nègres Haïtiens paraissent, en somme, être satisfaits de leur sort, et, gouvernement pour Gouvernement, préfèrent être gouvernés par le général Légitime, ou Tyresias Simon Sam, ou Nord-Alexis, que par Guillaume II ou le président Taft.

Voici, d’ailleurs, la description que fait un observateur qui semble impartial. M. Eugène Aubin, des résultats politiques et sociaux de l’indépendance haïtienne, qui existe, en fait, depuis 1804, et fut proclamée en 1825 :

Sur les ruines de la colonisation française, sans grand souci d’administration, un million et demi de nègres se trouvent actuellement en possession de l’ancienne terre des blancs, dont ils vivent par la culture de leur petit bien. Ils forment, dans la plus grande partie du pays, une démocratie rurale, encadrée par une police militaire, ayant peu de besoins, marquant un égal dévouement pour ses prêtres et ses sorciers, fixée au sol par les dispositions du code rural, acceptant pour horizon les limites de la commune, sans désir de chercher plus loin ni des gouvernants, ni des juges. Beaucoup sont aisés, la plupart semblent contents ; je ne crois pas qu’il y ait au monde nègres plus heureux et plus tranquilles, tant que la politique n’intervient point dans leurs affaires et que la révolution reste à distance de leurs cases. Pratiqués par eux-mêmes, le régime militaire et la justice sommaire ne semblent pas leur peser ; la simplicité du système répond entièrement à leurs convenances. Ce système dérive, d’ailleurs, des origines mêmes de la nation haïtienne. « Jamais armée européenne, observait Pamphile de la Croix, n’a été soumise à une discipline plus sévère que ne le furent les troupes de Toussaint Louverture. Chaque gradé commandait le pistolet à la main et avait le droit de vie et de mort sur ses subalternes. « L’Haïtien en a