Page:Vandervelde - La Belgique et le Congo, le passé, le présent, l’avenir.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tout d’abord, cette affirmation est plus qu’exagérée : il n’y a d’hôpitaux pour noirs que dans les stations de quelqu’importance ; ailleurs, les indigènes ne peuvent compter que sur la boîte à médicaments du missionnaire ou du chef de poste.

Ensuite, la plupart de ces hôpitaux sont de simples baraques, et s’il en est, comme ceux de Boma, de Léopoldville, de Coquilhatville, qui sont convenables, sans plus, d’autres, et par exemple celui de Matadi, sont, ou étaient en 1908-1909, dans un état véritablement honteux.

On en jugera par l’extrait suivant de mon Journal de voyage :

Une route large et bien entretenue s’élève de la rive vers l’hôpital des noirs de la Compagnie du chemin de fer, qui a le même médecin que l’hôpital de l’État, et lui fait vis-a-vis. L’hôpital de la Compagnie est tout battant neuf. Il a coûté 80.000 francs. L’installation en est parfaite. Des lits de fer, avec des draps bien blancs, s’alignent dans la grande salle, scrupuleusement propre. Il y a peu de malades, pour un très nombreux personnel. L’hôpital de l’État est l’ancien hôpital de la Compagnie. C’est une baraque en bois, qui n’a jamais été très confortable, et comme elle n’a plus été entretenue, depuis que l’État l’a acquise, elle se trouve dans un état de délabrement scandaleux : les lits en bambou, avec des couvertures en lambeaux, sont malpropres ; les murs, en planches disjointes, laissent passer sur les misérables grabataires les vents froids des nuits de la saison sèche : tous les malades, même atteints de maladies contagieuses, sont dans la même salle : ils sont beaucoup plus nombreux, pour un effectif bien moindre, que ceux de la Compagnie ; le sol est percé de grands trous, d’où sortent, la nuit, d’énormes rats, qui sont la terreur des malades.

Il y a quelques jours, dans cette salle, un noir, arrivé au dernier stade de la maladie du sommeil, achevait de mourir. Les rats n’attendirent pas qu’il fût mort. Ils l’attaquèrent pendant son agonie, et lui rongèrent l’un des pieds. Quand l’infirmier arriva le matin, l’homme respirait encore, mais trois doigts manquaient ! Puisse, du moins, cette affreuse histoire faire mettre fin à un scandale qui n’a que trop duré, et qui fait monter la colère à la gorge, quand on songe que le roi Léopold, avec les millions déposés pour l’Arcade du Cinquantenaire, ou l’embellissement de son palais, à Laeken, eût pu créer des hôpitaux — à 80.000 francs chacun — dans tous les postes importants du Congo[1] !

  1. E. Vandervelde. Les derniers jours de l’État du Congo, p. 78.