Page:Vandervelde - La Belgique et le Congo, le passé, le présent, l’avenir.djvu/60

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Quand ils arrivent dans un endroit, ni les biens, ni la femme d’aucun habitant ne sont en sûreté, et, à la guerre, ils sont de vrais démons. Imaginez-les, revenant d’avoir soumis quelques rebelles. Voyez, à l’avant du canot, une perche à laquelle pend on ne sait quelle grappe… Ce sont les mains, les mains droites, de seize guerriers qu’ils ont massacrés. Des guerriers ! Ne distinguez-vous pas, parmi ces mains, celles de petits enfants ? Je les ai vus, je les ai vus couper le trophée pendant que le pauvre cœur battait encore, faisant jaillir le sang des artères à une distance d’au moins quatre pieds[1]!

On a essayé d’excuser de tels faits, en disant qu’ils étaient conformes à des coutumes indigènes, antérieures à l’arrivée des Européens. Soit ; mais si des Européens ont toléré de telles coutumes et n’ont pas rougi de se faire apporter des paniers de mains coupées, c’est parce que la terrorisation des « contribuables » était une des conditions essentielles du fonctionnement du régime.

Tout se tient, en effet, dans le système introduit par les décrets de 1891-1892 : appropriation par l’État de tout le territoire non occupé par les villages ou les cultures ; attribution à l’État, ou aux concessionnaires de l’État, en vertu du principe de domanialité, de tous les produits naturels du sol ; recours à la contrainte pour obtenir, à défaut de rémunération suffisante, la main-d’œuvre nécessaire pour la récolte ; emploi de la violence pour rendre cette contrainte effective et efficace.

Que l’une des pièces de ce système vienne à disparaitre, le système tout entier devait aller à la ruine. C’est ce que l’on vit au lendemain des réformes que l’opinion publique contraignit l’État à réaliser.


§ 3. — Les réformes de 1906.


À la suite du rapport de la Commission d’enquête et des conclusions votées par la Commission des reformes, nommée immédiatement après la publication de ce rapport, l’État prit

  1. Cité par Conan Doyle, The Crime of the Congo, p. 52.