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On serait tenté de lui donner raison, quand on lit les témoignages effroyables qui ont été apportés devant elle, par les missionnaires de la Congo Balolo Mission, sur les horreurs qui ont été commises dans les régions contrôlées par l’Abir[1].

Cependant, des hommes digues de foi, qui séjournèrent longtemps à l’Équateur, m’ont affirmé que, si l’attention des membres de la Commission d’enquête fut particulièrement attirée sur les agissements de l’Abir, il ne faudrait pas croire que la situation fût meilleure dans les territoires voisins, exploités par l’État, pour le compte du Domaine de la Couronne. Les agents des sociétés, en effet, étaient, si peu que ce fût, sous la surveillance de l’État, tandis que les fonctionnaires de l’État, qui, eux aussi, recevaient des primes pour le caoutchouc et l’ivoire, échappaient à toute autre surveillance que l’apparition, rarissime, de quelque magistrat.

En tout cas, le fait est que rien de ce qui s’est passé, dans le territoire de l’Abir, ne dépasse en horreur les actes monstrueux qui furent commis, vers 1895, dans certaines parties du Domaine de la Couronne.

M. G. Loraud, par exemple, révéla à la Chambre des Représentants, en 1900, que des soldats de la Force publique, voulant prouver qu’ils avaient efficacement employé leurs cartouches, apportèrent en un seul jour, à un officier, qui est actuellement encore dans l’armée belge, 1.357 mains coupées[2] ! Le rév. Clarke, qui habitait en 1895, dans les mêmes régions, raconte, en ces termes, ce qu’il y a vu.

Le caoutchouc a coûté des centaines de vies dans ce district, et les scènes auxquelles j’ai assisté, alors que j’étais incapable de secourir les opprimés, ont parfois suffi à me faire souhaiter la mort. Les soldats sont des sauvages, voire même des cannibales, dressés au maniement du fusil. Dans bien des cas ils sont détachés sans surveillance et font ce qui leur plaît.

  1. Témoignages de la Commission d’enquête au Congo. Édition belge. Liverpool, Richardson and Sons, 1905.
  2. Séance de la Chambre des Représentants, 19 avril 1900. Annales parlementaires, 1899-1900. p. 1098.