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Lettre d'un Citoyen

sentiront de l’abondance des Campagnes : voilà ſans doute un avantage réel ; & quand il n'y auroit que celui-là, il devroit ſuffire pour déterminer à ſuivre cette culture, puiſqu'elle ſeroit toujours utile, même dans des années d'abondance ; mais dans celle de diſette, elle ſeroit fans doute encore plus précieuſe, puiſqu'elle peut fournir à la ſubſiſtance des hommes, non-ſeulement en les mangeant telles qu'elles ſont, mais ſur-tout d'après leur excellente propriété bien reconnue, d'en faire de très-bon Pain avec une mixtion de Farine ; Pain très-ſain, nourriſſant, & que je peux, : ſans scrupule, propoſer aux autres, puiſque j'en mange depuis trois ans, par goût & par raiſon de ſanté.

Ce Pain a d'ailleurs l’ineſtimable avantage de ſe conserver ſain & mangeable, pendant des années entières. M. d'Angerval en a conſervé pendant deux ans.

Je ne me prévaudrai point ici de l’exemple des Princes d'Allemagne, & des Milords Anglais, qui au milieu de tous les mets ſervis fur leurs tables, mangent de préférence, & par goût, des Pommes de terre : mon deſſein n'eſt point d'engager à imiter leur exemple ceux de nos Concitoyens, dont l’opulence ne doit être flattée que de ce qu'il y a de plus rare & de plus cher ; ceux-là ne doivent être embarraſſés que du choix des Cuiſiniers & des Ragoûts, & on ne peut que leur ſouhaiter un bon eſtomac & une bonne digeſtion. Mais quand ils voudront bien ſonger qu'il y a une quantité de pauvres familles ſouffrantes, qui ne cherchent & ne déſirent que les moyens de ſubſiſter, ils me pardonneront de leur préſenter des Pommes de terre, qui fourniſſent aux beſoins de leurs parens, par-tout où elles ſont connues : c'eſt pour ceux-ci que je travaille, & ſur-tout pour nos bons amis de la Campagne, pour ces Laboureurs qui nous font vivre, & dont quelques-uns ont bien de la peine à ſubſiſter ; c'eſt pour cette portion de Citoyens vraiment utiles, que j'écris, que je travaille ; c'eſt à eux à qui je crie : cultivez des Pommes de terre, regardez comme gens mal informés, ceux qui voudraient vous en diſſuader. Je dis mal informés, parce que je ne peux croire qu'il y en