Page:Variétés Tome I.djvu/309

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la peine qu’on dedie à mon supplice ; mais quand on aura mis en la balance tout le faict de mon destin, vous donnerez plus tost des larmes à ma fortune, que vos desirs à l’accomplissement de ceste miserable prophetie de ma defaite. Il est vray, cest eschaffaut odieux, et que mes mesfaits ont estez les degrez par lesquels je me suis porté ; mais quoy ! ç’a esté un coup à qui je ne pouvois gauchir, et un passage qu’il me failloit traverser. Il y a ici beaucoup de gens qui sçavent la maison d’où je suis sorti, laquelle doit à ce jour avoir une si ignominieuse tache estre attachée à la memoire de posterité qui ternira son renom au souvenir de la faute. » Et disant ces mots, les larmes luy commencèrent à couler le long des joües ; puis, se tournant de l’autre costé :

« Et combien, Messieurs, il n’est pas incompatible qu’il ne puisse sortir un mauvais fruict d’une bonne semence, selon le champ où sera semé, qui le corrompt quelquefois, ou la constellation des astres, qui luy sera contraire ; de façon que, quand vous blasmerez ma fortune et celle de mes compaignons, je vous prie, et mes larmes vous y convient, de jeter les yeux de vostre memoire sur mes ayeuls, qui n’ont jamais veu courir des ombrages si odieux que cela sur leur reputation, et dont les vertus ne me doivent presager que de merveille ; mais quoi ! les meilleurs naturels peuvent estre corrompus comme le mien, qui, se laissant flatter aux persuasions de mon frère, que le desespoir avoit envelopé en ses toilles, s’est laissé emporter à ses desbauches, qui me font aujourd’huy dresser les cheveux à la contemplation de ma faute, et, d’une main odieuse, me