Page:Variétés Tome I.djvu/333

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à luy donner les tiltres et les qualitez dont l’empereur et les autres roys et princes de la chrestienté le qualifioient ; que, ne le faisant pas, il luy tesmoignoit n’estre pas son amy, veu qu’en cela c’estoit comme s’oposer à son bonheur et à sa gloire2.

Un bacha arriva après, de la part du grand-seigneur, suivy d’une belle compagnie de Turcs et Tartares, au devant duquel le prince envoya son carrosse et quantité de seigneurs de qualité, avec cinq cens lanciers, qui conduisirent cest ambassadeur jusques à son logis ; le son des tambours et des flustes, qui sont les instrumens ordinaires dont ceste nation se sert pour les plus grandes resjouissances, ravissoit les cœurs d’admiration, estonnant la terre et resjouissant le ciel. Comme l’ambassadeur eust esté ouy, il presenta au prince, de la part de son maistre, deux grands chevaux turcs avec les caparaçons et les crinières de toille d’or, et treize hommes turcs, dont trois presentèrent chacun un habit à la turque de toille d’or, trois autres chacun un de toille d’argent, et les autres sept des estoffes les plus precieuses dont les plus grands princes se servent en ce pays-là. Le mesme jour, le prince fit un festin au bacha et à toute sa suitte, où il n’y eust pas moins de despence qu’à celuy de Marc-Anthoine avec Cleopâtre. C’est là qu’il prit la place d’honneur et beut à la santé du grand-seigneur, la teste couverte, ce qui estonna fort toute la compagnie.

Le prince, qui a bon jugement et bon esprit, pré-


2. Bethlem Gabor tenoit d’autant plus à ses titres que, né d’un simple gentilhomme, il se devoit tout à lui même.