Page:Variétés Tome II.djvu/279

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toutes choses par leurs noms. Aussi bien dit-on que les grands n’ont faute que d’une chose, sçavoir, des gens qui leur disent leurs veritez. Nous autres Provençaux, qui sommes nais en un pays solaire, avons l’esprit par consequent esveillé, cognoissons bientost une verte entre deux meures, et si avons la teste chaude et près du bonnet, ne portons pas volontiers croppière, aimons trop nostre liberté. C’est pourquoy nous nous contentons en nos maisons d’une honneste pauvreté, estimans que qui est content est riche ; n’importunons pas tant le roy comme vous autres Gascons, qui vous dittes tous neantmoins cadets de dix mil livres de rente. Il faut donc que vos aisnez soient tous des mille-soudiers3 d’Orleans, et que, si je n’avois esté en ce païs, on m’en feroit accroire de belles. Toutes les bordes de Gascongne ne sont pas semblables : à Saint-Germain ou à Fontaine-bleau, ce sont bourdes que vous nous contez. Vous vous mecontez en vos supputations ; vous sçavez faire valoir le triomphe toutefois, et soustenez mieux une menterie que nous autres Provençaux, dissimulez une injure long-temps à l’ita-



3. Mot du vieux gof parisien qui servoit à désigner les gens assez riches pour pouvoir dépenser mille sols par jour, c’est-à-dire par an 18,250 livres. Quant à Orléans, je ne sais pourquoi l’on parle plutôt de ses mille-soudiers que de ceux de toute autre ville. Il faut peut-être voir ici une ironie, une antiphrase, eu égard à la réputation toute contraire qu’au XVe et au XVIe siècle, le bonhomme Peto d’Orléans, patron des mendiants et des gueux, avoit faite à sa ville. — V. Eutrapel, chap. 10, Des bons larrecins, et une note de Le Duchat sur Rabelais, liv. 3, ch. 6.