Page:Variétés Tome III.djvu/279

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faites, deux hommes qui estoient de leur caballe entrèrent dedans la chambre, et avec nostre permission s’approchèrent fort courtoisement de la table et du feu, faisant semblant de ne se point recognoistre. Ô ! qu’ils joüèrent bien tous leurs personnages ! Comme ceux-cy eurent veu joüer une partie ou deux, ils dirent au Polonnois : Monsieur, nous vous conseillons de ne pas joüer davantage, car vous perdriez tout vostre bien à ce jeu-là. Je croyois, ayant ouy cela, qu’ils s’estoient emeus de la mesme compassion que moy, et fus bien aise de ce qu’ils avoient dit, car je ne l’osois dire. Neantmoins l’estranger françois disoit qu’il sçavoit bien le jeu, et qu’il y joüeroit trente pistoles, car il estoit picqué. Mon compagnon, qui avoit demeuré long-temps sans me rien dire, commença à me parler en cette sorte, cependant que l’estranger parloit aux deux survenus : Si j’avois assez d’argent pour joüer tout cela, je le joüerois : car vous voyez combien je suis asseuré de gaigner ; mais si vous voulez en mettre la moitié, j’iray vistement emprunter d’un de mes amis, qui demeure là devant, ce qui me manque pour faire une telle somme ; il fera bon porter chacun un habit aux despens du Polonnois. Les deux survenus s’offroient à estre de moitié. Moi, voyant que, puisque cet estranger estoit resolu à joüer, il valoit autant que j’eusse son argent comme les autres, je dis que je mettrois au jeu tout ce que j’aurois. Incontinent mon compagnon sort de la chambre et faict semblant d’aller emprunter de l’argent, pour couvrir leur meschanceté. Cependant je foüille en un petit recoin de ma pochète, et descouds un