Page:Variétés Tome III.djvu/281

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gnon m’ayant adverty, je dis : C’est celle-là, c’est celle-là : car j’en pensois estre bien asseuré. Mais l’orloge fut bien menteur, car au lieu de sonner une heure il en sonna cinq ; d’autant que, pour un as de cœur que je devois trouver, je rencontray un cinq de carreau. Je vous laisse à penser si la sueur me monta au visage ! Je demeuray aussi muet et fixe qu’une statuë de sel. Le Polonnois, au contraire, se leva de dessus son siége, prit les deux mouchoirs, fut guery, et trouva bien le chemin de son logis sans le demander. Ce ne fut pas tout : mon compagnon commence à crier contre moy, et dire que je luy avois fait perdre son argent ; qu’au lieu de mettre la troisiesme carte au dessous des autres, je l’avois lardée entre les deux (car la troisiesme carte estoit aussi un cinq de carreau). Neantmoins il me fit plus de peur que de mal, car il gaigna tout aussi-tost la porte avec les autres, et je restay seul, estonné comme un fondeur de cloches5, ayant perdu le bon droict de mes procez et toute ma sepmaine par un samedy. À la sortie du cabaret, je pensois conter mon infortune à quelqu’un de mes amis ; mais ils se gaussèrent de moy, et me dirent que je n’estois pas le premier pris, que quelques uns estoient attrapez aux merelles, d’autres au filou6, d’autres aux gobe-


5. Il faut ajouter : dont la fonte ne réussit pas. Ce proverbe se trouve dans tous les écrivains du XVIe siècle. Au lieu de étonné, on disoit souvent ébahi, penaud, ou bien encore matté, comme un fondeur de cloches.

6. On y jouoit avec un dé sexagone nommé filou, qui, roulé sur une table bien unie, gagnoit lorsqu’il ne se posoit pas sur celui de ses six pans qui n’étoit pas marqué de