Page:Variétés Tome III.djvu/292

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Eust-il pourveu ses vers d’un si fameux destin

Si ma douce fureur n’eust enrichy sa veine ?

Sitost que son esprit sentait la pituite
Offusquer tant soit peu ses nobles fonctions,
J’accourois au secours de ses conceptions,
Dont il m’attribuoit la gloire et le merite.

Fuyant la medecine et ses plus sçavans maistres,
Qui m’esloignoient de luy pour conserver ses yeux5,
Il jugeoit leurs avis sots et pernicieux,
De nuire au bastiment pour sauver les fenestres6.

Le copieux Ronsard, l’industrieux Jodele,
Le grave du Bellay, l’agreable Baïf,
Le tragique Garnier, et Belleau le naïf,
Me consultoient souvent comme oracle fidele.

Desportes m’invitoit à ses mignards ouvrages ;
J’entretenois Bertaud dans ses divins élans,
Et, pour faire des vers plus forts et plus coulans,
Du Perron me mandoit par quelqu’un de ses pages.

Pour louer un vainqueur tout couvert de trophées,
Pour descrire un amant nageant dans les plaisirs,


5. On sait qu’Horace avoit les yeux malades, lippi oculi.

6. Ce trait a peut-être été inspiré par cette jolie épigramme de Marot :

Le vin, qui trop cher m’est vendu,
M’a la force des yeux ravie ;
Pour autant il m’est défendu,
Dont tous les jours m’en croist l’envie ;
Mais, puisque luy seul est ma vie,
Maugré des fortunes senestres !
Les yeux ne seront pas les maistres :
J’aime mieux perdre les fenêtres
Que perdre toute la maison.