Page:Variétés Tome III.djvu/327

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Encore maintenant, pour faire un mariage,
On songe seulement aux biens et au lignage,
Sans cognoistre les mœurs et les complexions ;
Par ainsi, ce lien trop rigoureux assemble
Deux contraires humeurs à tout jamais ensemble,
Dont viennent puis après mille discensions.

On ne sçauroit penser combien la jeune femme
Endure de tourment et au corps et à l’ame,
Subjette à un vieillard remply de cruauté
Qui jouit à son gré d’une jeunesse telle
Pour ce qu’il la veut faire ou dame ou damoiselle,
Et pour ce qu’il est grand en biens et dignité.

Luy qui avoit coustume auparavant, follastre,
De diverses amours ses jeunes ans esbattre,
Entretenant sa vie en toute oisiveté,
Se sent or’ accablé de quelque mal funeste,
Qui, malgré qu’il en ait, dans son lit le moleste,
Assez digne loyer de sa lubricité.

La femme prend le soin d’apprester les viandes
Qui au goust du vieillard seront les plus friandes,
Sans prendre aucun repos ny la nuict ny le jour ;
Et luy, se souvenant de sa folle jeunesse,
Si tant soit peu sa femme aucune fois le laisse,
Pense qu’elle luy veut jouer un mauvais tour.

Et lors c’est grand pitié : car l’aspre jalouzie
Tourmente son esprit, le met en frenaisie,
Et chasse loin de luy tout humain sentiment.
Les plus aigres tourmens des ames criminelles
Ne sont pour approcher des peines moins cruelles
Que ceste pauvre femme endure injustement.