Page:Variétés Tome V.djvu/45

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valent peust-estre mieux que vous. Quelle manie, quelle rage, quelle fureur vous a saisict les cinq sens de nature ? Qui diable vous a fait si hardis de me venir gourmander ainsy jusques en ma maison ? D’où venez-vous ? quy estes-vous ? Etes-vous gentilshommes, bourgeois ou roturiers ? — Alors le plus asseuré de nos dicts sieurs les savetiers, qui neantmoins trembloit au manche, de peur qu’il avoit d’estre graissé, commença de tirer de la plus profonde cave de son estomach un soupir plein de regrets, auquel il donna, pour escorte de sûreté et pour interprète fidelle du ressentiment qu’il avoit, ces parolles, dignes d’estre gravées sur le bronze, ou tout au moins sur du papier doré, pour servir de torche-cul à la posterité :

Illustrissime, reverendissime, nobillissime, clarissime, excellentis­sime seigneur, dites-moy, je vous prie, le title et la qualité qu’il vous plaise que je vous donne : car je vous promets bien que je n’ay jamais etuguié à Padoue pour sçavoir des rubriques de ceremonies. Si je vous appelle doctissime, je croy que ce sera le vray moyen de satisfaire à mon devoir : car, si je ne me trompe, je vous ay veu regenter en assez bon credit dans le meilleur collége de nostre bonne et ancienne université de Paris. Je vous dis donc, doctissime et reverendissime Monsieur, que nous ne sommes ny gentils-hommes, ny bourgeois, ny marchands, ny roturiers ; nous sommes du tiers-etat et deux des plus francs courtauts quy peuplent la famuleuse et celèbre race de la Savatterie.

Si vous avez resolu de faire paroistre la rigueur de vostre courroux, il est bien raisonnable que vous