Page:Variétés Tome VII.djvu/111

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je tiray mon poëte de la foule et le menay souper chez moy. Je ne sçay pas comment il s’en fût acquité s’il eust eu toutes ses dents ; mais je vous jure qu’à le voir bauffrer je n’eusse jamais deviné qu’il en eust manqué d’une seule, et qu’il me fit bien rabaisser de l’estime que j’avois pour le miracle de Sanson, qui defit tant d’ennemis avec la maschoire d’un asne, faisant trois fois plus d’execution avec une maschoire moindre pour le moins trois fois. Après le souper, je ne pus m’empescher de luy lascher quelque petit trait de raillerie sur son avanture passée. Mais tournant subitement la chose en galanterie : « Je croy bien, me dit-il ; n’ay-je pas eu raison de m’en defaire ? Elles n’estoient bonnes qu’à me faire de la depense et vouloient tousjours manger. » Cette reponse me surprit ; mais il m’en fit une autre quelques jours après qui, pour n’estre pas si aiguë ny si plaisante, ne laisse pas, selon mon jugement, d’estre aussi adroite.

Contraint comme l’autre fois par la necessité, il alla encore sur le Pont-Neuf chanter quelques chansons qu’il avoit faites. Il esperoit de n’estre pas reconnu, pource qu’il s’estoit deguisé du mieux qui luy avoit esté possible ; mais la chose estoit allée contre sa pensée, et, l’ayant encore reconnu en passant par là, il eut bien l’adresse, lors que je l’en pensay gausser, de me dire froidement : « Pardieu ! cinquante pistolles sont bonnes à gagner », pour me faire croire que ce qu’il en avoit fait n’avoit esté que par gageure.

Ce sont les moyens par lesquels Sibus taschoit à subsister. Neantmoins, pource qu’il ne pouvoit pas