Page:Vasari - Vies des peintres - t1 t2, 1841.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
4
PRÉFACE DES TRADUCTEURS

seraient pas admises à s’établir autant à l’aise sur le terrain d’aucune autre spécialité du travail humain. En effet, n’est-il pas vrai que, sous le manteau d’une science quelconque, jamais un oisif ignorant ne serait admis à dogmatiser et à législater ? Les véritables savants, tous habitués à la lutte, défendraient leur conscience blessée, et couvriraient de ridicule les hérésies de l’intrus. Il en est autrement à propos des arts. Les artistes sont quotidiennement harcelés dans leurs goûts, offensés dans leurs croyances, on pourrait même dire attaqués dans leurs droits. Il n’y a que l’art pour être ainsi livré aux jugements arbitraires, aux discussions niaises, aux inexactitudes impardonnables. On généralise et on distingue, on classe et on mêle, on blâme et on loue, on doute et on affirme, avec un aplomb vraiment désespérant. Comme la théorie générale n’a pu être faite avec quelque autorité par personne encore que nous sachions ; comme la théorie particulière d’aucun maître n’a pu être traitée exactement, les écrivains profitent de cette absence, se lâchent la bride, et ne respectent rien. Il leur suffit de ramasser quelques lambeaux dans la phraséologie des systèmes en vigueur, pour afficher dans leurs jugements une profondeur qui nous effraie ; il leur suffit de feuilleter les catalogues et les livres de pratique, pour affecter dans leurs descriptions une connaissance intime des détails, qui nous déconcerte. On appelle tout cela la synthèse et l’analyse de l’art. Et nous, par crainte ou dédain de tout débat avec ces puissances, nous laissons croire que nos arts ont été résumés et embrassés complètement, dans un seul regard de ces aigles.

C’est un grand mal, et qui motiverait une plus longue digression. En effet, rien ne restera debout dans les arts, si les artistes n’y prennent garde. N’est-ce pas à eux à maintenir l’intégrité des belles traditions de l’art, et à défendre les œuvres consacrées ? C’est surtout sur ce terrain, qu’il leur est facile de parler avec cette autorité que l’opinion ne refuse jamais à l’étude consciencieuse. Et qu’on ne s’y trompe pas ; c’est bien travailler pour la réalisation présente et les progrès à venir, que de faire respecter, et d’honorer soi-même comme on le doit, les fécondes productions du passé. Mais on a