Page:Vasari - Vies des peintres - t3 t4, 1841.djvu/462

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On raconte que Ser Piero da Vinci, se trouvant à la campagne, fut prié par un paysan de faire peindre à Florence une rondache qu’il avait faite du bois d’un figuier coupé sur sa terre. Le père de Léonard y consentit volontiers parce qu’il employait souvent pour son compte, à la pêche ou à la chasse, cet homme qui était fort habile pêcheur et oiseleur. Ayant donc fait porter cette rondache à Florence, il chargea son fils d’y peindre quelque chose, sans lui dire d’où elle venait. Léonard la prit un jour, et, voyant qu’elle était tordue et grossièrement travaillée, la redressa au feu et la donna à un tourneur pour la dégrossir et la polir. Après l’avoir ensuite enduite de blanc et préparée à sa guise, il se mit à réfléchir comment il pourrait y représenter quelque sujet bien effrayant, une sorte d’épouvantail comparable à la Méduse des anciens. Alors il rassembla dans un endroit où lui seul entrait, toutes sortes de bêtes affreuses et bizarres, des grillons, des sauterelles, des chauve-souris, des serpents, des lézards. Il arrangea le tout d’une manière si étrange et si ingénieuse, qu’il en forma un monstre effroyable, sortant d’un rocher sombre et brisé ; son haleine semble devoir corrompre et enflammer l’air, un noir venin découle de sa gueule, ses yeux lancent du feu, et la fumée s’échappe de ses larges narines.

Léonard souffrit beaucoup pendant ce travail, à cause de l’infection que répandaient tous ces animaux morts ; mais sa verve lui faisait tout braver. Cependant son père et le paysan ne réclamaient plus la rondache ; probablement ils l’avaient oubliée.