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doctrines par un courtisan peu capable de les comprendre, Frédéric Guillaume Ier l’avait, en 1721, chassé de l’Université de Halle. Mais précisément, quand le jeune Vattel arrivait à Berlin, Wolff, après l’avènement de Frédéric II, rentrait eu Prusse où sa chaire venait de lui être rendue. On pouvait, désormais, le louer sans compromettre un avenir diplomatique. Mais, si le professeur de Halle était personnellement rentré en faveur, son œuvre encourait, encore, auprès des cercles politiques, une disgrâce plus terrible que celle des princes : celle d’une pensée trop profonde, et d’une langue trop peu vivante : le latin scolastique de Wolff privait le livre des lecteurs qui précisément en eussent retiré le plus grand profit. Frappé du désaccord qui existe entre la politique et la philosophie, Vattel essaie de faire connaître aux « conducteurs des peuples, » par l’ouvrage de Wolff débarrassé de ses obscurités, « ce que la loi naturelle prescrit aux nations. » Avec une modestie charmante, l’adaptateur déclare sentir « la faiblesse de ses lumières et de ses talents. » Il ne prétend pas donner une solution nouvelle du grand problème des relations entre États, mais simplement une vulgarisation claire, élégante et, par suite, plus accessible que l’œuvre puissante, mais un peu raide et pédantesque, du philosophe allemand. Entre la science de Wolff et la diplomatie du temps, Vattel, homme du monde, esprit cultivé, diplomate apprécié, sert agréablement d’intermédiaire. Grâce à lui, les idées de Wolff, ingénieusement présentées, secouent la poussière de l’école, pénètrent dans les cours, les ambassades, le « monde poli. »

Cœur généreux, il aborde le droit des gens en diplomate cultivé, désireux d’instruire des principes de la philosophie du temps ceux qui ont la charge des affaires publiques.

« Je ne manque pas de sensibilité, » écrivait-il à un correspondant inconnu, le 26 mai 1757. Toute son adaptation de Wolff n’est que l’illustration de cet aimable trait de caractère. Les théoriciens du droit de la nature et des gens, Grotius, Pufendorf, Wolff, plaçaient à l’origine des sociétés l’âge d’or pour le représenter, ensuite, comme idéal, aux peuples au terme de leur évolution. À leur exemple, Vattel s’efforce d’aider l’humanité, qui a perdu le bonheur, à le retrouver. Sa philosophie est celle de Leibnitz, maître de Wolff : philosophie optimiste qui propose à l’homme, comme but, la perfection, c’est-à-dire le développement de son être, et, comme résultat, le bonheur. Mais ce cœur généreux, qui souhaite qu’on aperçoive dans son ouvrage « des preuves de son amour pour le bien, » est en même temps un libre esprit qui a subi l’influence de la philosophie de son temps. Il lit les physiocrates et les encyclopédistes ; il admire Voltaire ; il est en relations littéraires avec la Chalotais[1]. Né à Neuchâtel, sujet du roi de Prusse et ministre du roi de

  1. La correspondance de Voltaire en fait foi.