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xvI

ou d’y vendre certaines marchandises, d’y chasser, d’y pêcher, etc., on ne peut exclure une Nation de la permission générale, sans lui faire injure… Il s’agit ici… d’actes qui peuvent être d’une utilité innocente : et par cela même que la Nation les permet indistinctement aux étrangers, elle fait assez connaître qu’elle les juge innocents par rapport à elle ; c’est déclarer que les étrangers y ont droit… L’innocence est manifeste par l’aveu de l’État ; et le refus d’une utilité manifestement innocente est une injure » (II. §137).

Droits parfaits et imparfaits. — S’agit-il, au contraire, d’un droit sans lien aucun avec la communion primitive, c’est-à-dire avec l’usage de la terre, comme l’obligation de faire le commerce, de recevoir des consuls, d’aider les autres nations à réaliser la justice, de les secourir contre un ennemi trop puissant ? Alors intervient une distinction, insoupçonnée de Grotius et de Pufendorf : celle des droits parfaits et des droits imparfaits.

Ici, l’auteur de la Défense du système leibnitzien, jurisconsulte philosophe, s’inspire, à l’exemple de Wolff, des théories chères à leur maître commun.

Pour Leibnitz, l’homme a le devoir de mettre ses actions libres en harmonie avec les suggestions de la nature, d’obéir à la tendance naturelle qui pousse tout être à se conserver et à se développer. Incapable d’y parvenir à lui seul, il doit joindre ses forces à celles des autres hommes pour contribuer au perfectionnement de tous. Tel est le fondement des devoirs d’humanité. Ces devoirs ne sont qu’une conséquence, un prolongement de ceux de l’individu : ce sont des moyens par rapport à une fin. L’homme ne doit, par suite, travailler au perfectionnement d’autrui qu’autant qu’il le peut sans nuire au sien. Dans la hiérarchie des obligations, celles envers soi-même dépassent celles envers les autres. L’égoïsme prime l’altruisme. Le devoir d’assistance n’existe que dans la mesure permise par le droit et devoir de conservation.

De cette philosophie, Wolff et Vattel développent les conséquences juridiques. Entre le droit de conservation et le devoir d’assistance, une opposition, dans leur esprit, se forme. La conservation est le principe et l’assistance l’exception. Dans le doute, la conservation est préférable à l’assistance : le devoir d’assistance ne saurait mettre en péril le droit de conservation ; la perfection d’autrui n’est pas comparable à notre sûreté. Toutes les fois que notre sûreté sera en cause, nous aurons le droit et le devoir de refuser l’assistance requise par autrui. Mais, dans le doute, qui sera juge ? L’égalité des nations (Préliminaires, § 18) ne permet pas, quand elles se trouvent en désaccord, une solution de leur différend. « Ces Offices n’étant dûs que dans le besoin et par celui qui peut les rendre sans se manquer à soi-même, il appartient d’un autre côté à la Nation à qui l’on s’adresse de juger si le cas