Page:Vattel - Le Droit des gens, ou principes de la loi naturelle, 1758, tome 1.djvu/39

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idée, que les guerres sont, d’après leur cause, justes ou injustes, et que tout le droit de celui qui fait la guerre dérive de la justice de sa cause (§ 184). Celui-là seul est en droit de faire la guerre, celui-là seul peut attaquer son ennemi, lui ôter la vie, lui enlever ses biens et ses possessions, à qui la justice et la nécessité ont mis les armes à la main. Telle est la décision du droit des gens nécessaire, ou de la loi naturelle, à l’observation de laquelle les nations sont étroitement obligées (Prélim., § 7). C’est la règle inviolable que chacun doit suivre en sa conscience. Mais comment faire valoir cette règle dans les démêlés des peuples et des souverains, qui vivent ensemble dans l’état de nature ? Ils ne reconnaissent point de supérieur. Il appartient à tout État libre et souverain de juger en sa conscience de ce que ses devoirs exigent de lui, de ce qu’il peut ou ne peut pas faire avec justice : si les autres entreprennent de le juger, ils donnent atteinte à ses libertés. Une nation, un souverain, quand il délibère sur le parti à prendre pour satisfaire à son devoir, ne doit jamais perdre de vue le droit des gens nécessaire, toujours obligatoire dans la conscience ; mais, lorsqu’il s’agit d’examiner ce qu’il peut exiger des autres États, il ne doit plus respecter que le droit des gens volontaire. La première règle en est que les droits fondés sur l’état de guerre, la légitimité de ses effets, la validité des acquisitions faites par les armes ne dépendent point de la justice de la cause, mais de la légitimité des moyens. La guerre en forme, quant à ses effets, doit être regardée comme juste de part et d’autre (§ 190). Elle donne au conquérant le droit d’enlever à l’ennemi une ville ou une province, même sans son assentiment (§ 199). Après avoir fait entendre au vainqueur ces conseils d’humanité, la sagesse politique de Vattel observe qu’ « heureusement la bonne politique se trouve ici et partout ailleurs parfaitement d’accord avec l’humanité. »

Un Suisse éminent, Rivier, l’a observé[1] : « La maxime de neutralité professée par la Confédération suisse depuis le XVIe Siècle, a grandement contribué à l’adoption de principes juridiques réglant cette matière. Il n’est point suprenant que Vattel en ait traité avec plus de précision que ses prédécesseurs. » Suisse d’origine, c’est-à-dire natif d’un pays qui, dès ce moment, avait, dans l’âme, la vocation de la neutralité, lié, personnellement, par la naissance à la Suisse, par l’allégeance à la Prusse, par la fonction à la Saxe, enfin « ami de toutes les nations, » suivant le beau mot qui, dans sa préface, traduisait le désir de son cœur et la tendance de son esprit, Vattel ne veut pas que la guerre s’étende de proche en proche. Machiavel donnait aux princes le conseil d’épouser les querelles les uns des autres, en vue de partager, avec le vainqueur, les dépouilles du vaincu. Diplomate de l’école de Jean-Jacques, Vattel, au contraire, les engage à rester spectateurs. Pour la première

  1. Rivier, Principes du droit des gens, II, § 210.