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III

ACCUEIL DE L’ŒUVRE.


« Peut-être, » écrivait à un ami, modestement, Vattel, pendant l’impression, « mon livre aura-t-il plus d’une édition. Cette espérance n’est pas trop présomptueuse, puisque je ne fais tirer que douze cents exemplaires[1]. » L’espérance de Vattel devait être dépassée. Après le premier tirage, daté de Londres, mais fait à Neuchâtel sous la surveillance immédiate de l’auteur, un second sortait des presses de Leyde. En 1773 paraissait à Neuchâtel une seconde édition, enrichie de notes crayonnées par Vattel sur son propre exemplaire. Mais, posthume et hâtive, elle ffligeait, par son peu de soin, les amis de l’auteur. Comme elle semblait, à tous, « digne de l’épicier, » une autre s’imprima bientôt à Amsterdam, « par les soins d’un Monsieur D. [C. W. F. Dumas], publiciste suisse, ardent républicain, étroitement lié avec les Insurgents d’Amérique.[2] » — Presque aussitôt suivaient, en 1777, deux autres éditions, l’une à Bâle, avec quelques remarques tirées en partie des manuscrits de l’éditeur, l’autre à Neuchâtel, sans ces remarques, mais avec la biographie de l’auteur[3].

C’était le succès. La philosophie leibnitzienne était à la mode, et Vattel s’y rattachait. Il s’inspirait, jusqu’à le traduire, de Wolff ; mais il le débarrassait de ses scories, en substituant à un travail fatigant, que nul « honnête homme » n’eût eu la patience de lire, un discours simple et clair. Son traité n’était pas l’ouvrage d’un savant pour des savants, dans un latin obscur, lourdement scolastique, mais un livre élégamment écrit par un homme du monde, un diplomate, philosophe et lettré, à l’intention des souverains, des ministres et des gens du bel air[4]. Son style n’a pas la solidité de Montesquieu, l’éblouissante netteté de Rousseau ; mais Vattel se sert de la langue française, c’est-à-dire du meilleur filtre qui ait jamais su clarifier l’abstraction allemande. Grotius, humaniste, écrivant à la grande époque de la Renaissance des lettres grecques et latines, est encombré d’érudition, surchargé de réminiscences classiques. Vattel, philosophe, écrivant au siècle de l’Encyclo-

  1. Lettre de Vattel à un inconnu, 26 mai 1757, inédite, ibliothèque de la Ville de Neuchâtel.
  2. Nous pouvons faire cette identification avec certitude à l’aide de Wharton’s The Revolutionary Diplomatic Correspondence. II, p. 64.
  3. Voir la liste chronologique des éditions de Vattel, pp. Ivi-Iix.
  4. Ainsi devait plus tard penser le baron de Bielfeld :

    « Je voulais écrire pour un grand nombre de lecteurs, pour les princes, et pour tous ceux que leur naissance peut appeler à concourir au Gouvernement des États. Il est presque certain que l’appareil effrayant d’un système démontré par la méthode des mathématiciens les eût épouvantés et qu’ils ne m’eussent point lu. Il en seroit arrivé ce qui arrive à divers ouvrages de l’illustre Wolff, qui, malgré tout leur mérite, servent plus à orner les bibliothèques, à être consultés quelquefois au besoin en guise de dictionnaire qu’à être lus par les gens du monde et qu’à former des philosophes. » (Supplément aux Institutions politiques, à la fin du livre 2, nouvelle édition, 1768, Leyde et Leipzig, p. 564.)