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pédie, réduit le rôle des Anciens au profit des Modernes. S’il appelle en témoignage Xénophon, Plutarque, Cicéron, Tite-Live, Tacite, et même les poètes, il invoque aussi les historiens français, Mezeray, Wateville. À l’exemple de Grotius, il lui arrive, sans doute, de discuter encore si Rome devait observer l’humiliant accord des Fourches Caudines (II, § 209) ; mais il examine plus volontiers si François Ier était tenu de respecter le traité de Madrid (I, §264). Dans le même passage, où il rappelle Virgile, il nomme (III, § 178) les Mémoires de Feuquières. Grotius estimait par-dessus tout l’antiquité. Vattel reproche aux Anciens « qu’ils ne se croyaient tenus à rien envers les peuples qui ne leur étaient point unis par un traité d’amitié » (Livre II, § 20).

À l’absolutisme, dont l’œuvre de Grotius était encore empreinte, il substitue un libéralisme de bon aloi. Aux rigueurs d’un droit antérieur, cruel et farouche, il oppose une conception plus douce et, dès lors, plus généreuse, du droit de la guerre. L’esprit lettré, sensible et philosophe, du XVIIIe Siècle est en lui. Grotius, trop ancien, est désormais délaissé pour ce moderne, dont le livre, adressé à tous les souverains pour n’en flatter aucun, se dédie dans une noble préface à la Liberté : « Je suis né dans un pays dont la liberté est l’âme, le trésor et la loi fondamentale. » « Apud liberos tutior, » porte, sous le bonnet phrygien, la première page de la première édition.

« Je puis être encore, par ma naissance, l’ami de toutes les nations, » ajoutait Vattel, en sa belle préface. L’esprit de l’auteur étant sympathique à toutes, l’œuvre était de nature à plaire à beaucoup. Mais, l’esprit de son livre étant un esprit de liberté, ce furent les nations, où cet esprit était le plus fortement développé, qui, tout d’abord, l’accueillirent avec le plus de faveur.

L’Angleterre reconnut la première sa pensée dans cette œuvre. Si la première édition du Droit des gens portait la mention « À Londres, » ce n’était pas seulement artifice de librairie, mais hommage. Pour Vattel, l’Angleterre est, par excellence, « l’illustre nation. » Il la loue de se distinguer d’une manière éclatante à tout ce qui peut rendre l’État plus florissant, de tenir en sa main, grâce au commerce, la balance de l’Europe. Il la félicite « de remplir les devoirs de l’humanité avec une noble générosité » (II, § 5). Il en célèbre « l’admirable Constitution » (I, § 24). Il se félicite « de voir un roi d’Angleterre rendre compte à son Parlement de ses principales opérations » (I, §39). L’Angleterre avait, par deux fois, en 1688, puis en 1 701, modifié l’ordre de la succession au trône ; Vattel affirme de la manière la plus nette que la Nation peut changer l’ordre de succession (§ 61). Ses critiques du pouvoir des Papes, ses attaques contre l’Église catholique et le célibat des prêtres devaient