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UNE VENGEANCE

à nos jeux dans les cours du collège. Une foule de faits lointains, et oubliés déjà, me revinrent soudain à la mémoire. Georges d’Ambroise était, alors, le plus gai de mes camarades, le plus sincère, le plus serviable. Nous nous étions promis une amitié éternelle, et, sans ce fatal amour, nous n’eussions jamais cessé de nous voir…

Qu’il faut peu de chose pour bouleverser l’existence humaine ! Quelques pas de trop, me disais-je, l’ont conduit sur la route de cette femme. Est-ce hasard, ou fatalité ? En somme, rien n’est indifférent, ici-bas, puisque les circonstances les plus minimes décident parfois de notre sort : un voyage, une promenade, un regard distrait, une parole inconsciente, nous engagent malgré nous, et tous nos efforts ne sauraient délier ce qu’un événement banal a uni à jamais. Cette femme qui passe, indifférente, dans sa toilette sombre, sera peut-être bientôt l’élément nécessaire à notre vie ; ses yeux qui se sont à peine tournés vers nous se mouilleront des larmes de la passion la plus ardente ; sa bouche qui est muette se collera à la nôtre avec des cris et des sanglots. Hier, nous ne nous étions rien, demain nous ne pourrons plus nous passer l’un de l’autre ; hier un monde nous séparait, demain nous ne ferons plus qu’un. Quel abîme de joie et de tristesse ! Quelle force et quelle fragilité !…