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UNE VENGEANCE

Je demeurais immobile, enfoui dans les brumes du rêve. Pourtant, le vol des minutes était lourd et douloureux ! Ma pensée, comme un oiseau blessé revenait sans cesse à son point de départ, l’aile brisée, endolorie. L’accès de spleen devenait pénible jusqu’au malaise, jusqu’à l’étouffement. Il me semblait voir s’agiter les rideaux qui pendaient devant les fenêtres, pareils à des linceuls, et je tressaillais au moindre bruit. Le seul qu’on entendît, cependant, était le lent égouttement de la pluie au dehors, le murmure lointain d’une chute d’eau et ce gémissement monotone du vent qui se brise aux angles des grands édifices et s’abat dans les cheminées comme un vol de chauves-souris. Je restai ainsi pendant longtemps évitant de sonder les profondeurs noires de la chambre, lorsqu’un léger frôlement me fit tressaillir ; je me retournai avec effroi : c’était Porto dont la tête grimaçante paraissait dans l’entrebâillement de la porte. Je lui fis signe de remettre du bois dans l’àtre, car j’étais transi jusqu’aux os. Il jeta quelques bûches dans la cheminée, et disparut avec une hâte fiévreuse. Une grande flamme jaillit, éclairant l’écusson de la famille d’Ambroise, au-dessus des hautes tapisseries à personnages fabuleux. Je pris un livre, au hasard, et m’apprêtai à lire pour tromper mes inexplicables appréhensions. Les quelques jours que j’avais