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BARCELONE


chapeau à coupole. Le frère Neenan, avec son pardessus et sa petite casquette, me faisait l’effet d’un commis-voyageur. Pour moi, j’avais l’air d’un marchand d’allumettes. J’étais affublé à faire peur. Mes pantalons étaient trop courts, mon col trop grand, mon pardessus trop large, et tout cela surmonté d’un gros feutre noir de forme jadis cubique, mais considérablement élargi et dont les lignes architecturales étaient émoussées. Bref, je n’avais qu’à me mettre à la portière pour empêcher les importuns de monter[1]. »

Il en monte quelques-uns cependant, dont les conversations ne sont rien moins qu’édifiantes. Le jeune religieux en éprouva une impression de profond dégoût. « Je crois, dit-il, que le démon fait beaucoup d’affaires dans les chemins de fer. »

Dès que le jour eut paru, le Frère se donna tout entier à la contemplation des paysages. C’était le Limousin avec ses hameaux, ses prairies, ses vallons, ses collines. Il est charmé par les courbes nonchalantes de la Dordogne et ravi par les hauts escarpements du Puy-d’Issolud. Quel contraste avec les plateaux arides, les ravins pierreux des environs de Roc-Amadour, les effondrements du sol où s’engouffrent des torrents ! Montauban lui rappelle « avec un charme inexprimable » Mgr de Cheverus. À mesure qu’on avance dans le Midi, il surprend aux lèvres des voyageurs cet accent qu’il connaît pour l’avoir entendu résonner à la Petite-Œuvre. Tout l’intéresse, aussi bien les toits des maisons que les fenêtres ; il en veut à la locomotive de dévorer l’espace ; il n’a qu’un regret, c’est d’être déjà à Toulouse. On y passera une partie de la nuit. A l’hôtel, le P. Marie le bénit. Il fait une courte prière, il se couche, « et voilà, dit-il, la première journée de notre fuite en Espagne ». Il ajoute : « Le Sacré Cœur est bon. Nous sommes broyés pour être mêlés[2]. Tout est bien. »

On repart à trois heures et demie du matin[3]. Avec le

  1. 9 novembre.
  2. Le lecteur lettré a reconnu une parole célèbre de Joseph de Maistre.
  3. 10 novembre.