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— 1815 —

dit et une autorité qui n’ont leur analogue que dans la toute-puissance de certains courtisans sous les règnes des derniers Valois[1]. Tout ne se faisait pas par lui, mais rien ne se faisait sans lui. En d’autres termes, Louis XVIII régnait, M. de Blacas gouvernait.

Le favoritisme est avide : enrichir leurs affections coûte si peu aux souverains ! Ils n’ont rien à dépenser ; le pays seul fait les frais de leurs largesses ; il leur suffit de laisser prendre. Issu d’une famille pauvre, et entré pauvre aux affaires, M. de Blacas n’eut garde, dit-on, de s’écarter de la règle commune. Sous l’ancien régime, il aurait demandé les richesses qu’il n’avait pas à des cessions de biens domaniaux, à des priviléges de finance ou à des confiscations ; sous le régime nouveau, il dut puiser à d’autres sources. La liquidation, ou, pour mieux dire, la suppression du domaine extraordinaire de l’Empereur et de son domaine privé, ainsi que l’octroi de nombreux marchés de fournitures, a, assure-t-on, commencé la fortune de ce favori. Nous aurons à dire plus loin l’acte de munificence toute royale qui lui donna surtout les biens et les capitaux immenses qu’il a laissés.

Le trafic des places, des titres et des décorations, à cette époque, était pratiqué sur la plus large échelle : influences, démarches, recommandations écrites ou verbales, tout se vendait. Bon nombre d’anciens émigrés ou de nouveaux royalistes en crédit exerçaient publiquement cette industrie. La cour la tolérait comme un moyen de juste indemnité pour les pertes que la Révolution avait fait subir aux amis du roi. Le taux des places variait selon le produit ; chaque titre nobiliaire avait également son cours ; la décoration de la Légion d’honneur était tarifée à 250 ou 300 francs. Un grand nombre de femmes se mêlaient de ce commerce ; et l’abbé de Pradt, assure-t-on, prenait une part fort active aux trafics relatifs à

  1. « M. de Blacas avait réuni depuis longtemps l’existence de favori d’un prince faible à celle de garde-malade d’un vieux garçon. »
    (Mémoires du général la Fayette, t. V.)