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— 1815 —

la France, ne put obtenir de notre plénipotentiaire le plus léger appui. Les préoccupations de M. de Talleyrand, nous l’avons dit, n’étaient point là. Ces questions, d’ailleurs, n’intéressaient que la loyauté ou la grandeur du pays. La faveur de Louis XVIII importait autrement au chef de notre légation. Soucieux, avant tout, de plaire à ce monarque, et connaissant son amour pour les commérages et les anecdotes graveleuses, sa correspondance diplomatique, à cette époque, singulier témoignage de la futilité de son esprit, fait connaître une face assez ignorée du caractère du maître et du ministre. Cette correspondance était moins un tableau des délibérations du congrès et des intérêts qui venaient s’y heurter et s’y combattre qu’une scandaleuse chronique de salon et d’alcôve. Elle abondait en détails spirituellement cyniques sur les intrigues des personnages de tous les sexes et de tous les rangs, acteurs ou témoins dans les fêtes de cette assemblée. Ses descriptions faisaient passer tour à tour sous les yeux de Louis XVIII Alexandre agenouillé dans un oratoire avec madame de Krudner, M. de Metternich et ses bonnes fortunes d’homme de cour, lord Castlereagh et ses amours peu choisis. Chaque bal était l’objet d’un récit minutieux : propos échangés sous le masque, intrigues galantes, dénoûments libertins ou grotesques, l’ancien évêque d’Autun n’oubliait rien ; son maître riait, le proclamait observateur sagace et homme d’esprit ; que lui importait le reste[1] ? Cette correspondance, ajoutée aux faits

  1. M. de Talleyrand écrivait beaucoup plus qu’on ne l’a dit. Ses dépêches de Vienne, fréquentes, étendues, étaient toutes de sa main. Elles furent trouvées aux Tuileries, après le 20 mars, dans un des cartons du cabinet de Louis XVIII, et envoyées, comme nous aurons à le dire plus loin, à l’empereur de Russie, en même temps que le traité secret du 3 janvier. Les originaux de cette étrange correspondance politique ont été longtemps et sont probablement encore entre les mains du général Czernicheff, ministre de la guerre de Russie. M. Pasquier, aujourd’hui président de la Chambre des pairs, en possède une copie qu’il s’est procurée, nous ignorons par quel moyen, et qu’il destine, assure-t-on, à orner les volumineux Mémoires auxquels il travaille depuis trente ans. Un écrivain, à qui ses relations avec M. Pasquier ont permis de parcourir quelques-unes de ces dépêches, analyse ainsi le compte rendu d’un bal costumé : « Le roi de Prusse avait été longtemps agacé par un domino