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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 2.djvu/205

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— 1815 —

Je lui en détaillai quelques-unes ; il ne me laissa pas achever. « Cela suffit, me dit-il ; pourquoi n’avoir pas commencé par me dire tout cela ? Voilà une demi-heure que vous me faites perdre. »

Cette bourrasque me déconcerta. Il s’en aperçut, et me dit avec douceur « Allons, mettez-vous à votre aise et racontez-moi dans le plus grand détail tout ce qui s’est dit et passé entre X... et vous. » Je lui rapportai mot à mot l’entretien que j’avais eu avec M. X... ; je lui fis une énumération complète des fautes et des excès du gouvernement royal, et j’allais en déduire les conséquences que nous en avions tirées, M. X... et moi, lorsque l’Empereur, incapable, lorsqu’il est ému, d’écouter un récit sans l’interrompre et le commenter à chaque instant, m’ôta la parole et me dit : « Je croyais aussi, lorsque j’abdiquai, que les Bourbons, instruits et corrigés par le malheur, ne retomberaient pas dans les fautes qui les avaient perdus en 1789. J’espérais que le roi vous gouvernerait en bon homme. C’était le seul moyen de se faire pardonner de vous avoir été donné par des étrangers. Mais, depuis que les Bourbons ont mis le pied en France, leurs ministres n’ont fait que des sottises. Leur traité du 23 avril, continua-t-il en élevant la voix, m’a profondément indigné ; d’un trait de plume ils ont dépouillé la France de la Belgique et des possessions qu’elle avait acquises depuis la Révolution ; ils lui ont fait perdre les flottes, les arsenaux, les chantiers, l’artillerie et le matériel immense que j’avais entassés dans les forteresses et dans les ports qu’ils leur ont livrés. C’est Talleyrand qui leur a fait faire cette infamie ; on lui aura donné de l’argent. La paix est facile à de telles conditions. Si j’avais voulu, comme eux, signer la ruine de la France, ils ne seraient point sur mon trône. (Avec force.) J’aurais mieux aimé me trancher la main ! J’ai préféré renoncer au trône plutôt que de le conserver aux dépens de ma gloire et de l’honneur français. Une couronne déshonorée est un horrible fardeau... Mes ennemis ont publié partout que je m’étais refusé opiniâtrement à faire la paix ; ils m’ont représenté comme un misérable fou, avide de sang et de carnage... Si j’avais été possédé de la rage de la guerre, j’aurais pu me retirer avec mon armée au delà de la Loire et savourer à mon aise la guerre de montagnes. Je ne l’ai pas voulu... Mon nom et les braves qui m’étaient restés fidèles faisaient encore trembler les Alliés, même dans ma capitale. Ils m’ont offert l’Italie pour prix de mon abdication ; je l’ai refusée. Quand on a régné sur la France, on ne doit pas régner ailleurs. J’ai choisi l’île d’Elbe. Cette position me convenait. Je pouvais veiller sur la France et sur les Bourbons. Tout ce que j’ai fait a toujours été pour la France. C’est pour elle, et non pour moi, que j’aurais voulu la rendre la première nation du monde. Ma gloire est faite, à moi ; mon nom vivra autant que celui de Dieu. Si je n’avais songé qu’à ma personne, j’aurais voulu, en descendant du trône, rentrer dans la classe ordinaire de la