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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 2.djvu/292

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— 1815 —

Le maréchal, à l’exemple de l’immense majorité des fonctionnaires de cette époque, avait insulté à l’Empereur déchu ; comme eux, maintenant, il insultait à la Restauration tombée[1]. Si de tels faits aident à comprendre le profond dégoût de Napoléon pour les hommes, ils ne justifient pourtant pas le mépris qu’il affectait, assure-t-on, pour l’espèce humaine. Étaient-ils donc vils et lâches, ces Bourguignons, ces Champenois, ces Lorrains, ouvriers ou paysans, qui se levèrent en 1814 contre l’invasion ; ces héroïques soldats qui, se battant chaque jour un contre dix, tant que dura la campagne de France, devaient bientôt se précipiter encore au-devant de l’ennemi, et tomber, martyrs ignorés, aux champs de Ligny et de Waterloo ?

Au même moment où le maréchal Augereau abandonnait la cause royale, et deux jours après que le duc de Bourbon eut quitté furtivement la rade de Paimbœuf, la duchesse d’Angoulême s’embarquait, à son tour, à l’embouchure de la Gironde.

La duchesse et le prince son mari avaient quitté Paris le 27 février, l’avant-veille du débarquement de Napoléon, pour visiter le Midi. Leur voyage, jusqu’à Bordeaux, fut une longue ovation ; ils traversèrent Orléans, Bourges, Châteauroux, Limoges et Périgueux sous des arcs de triomphe. Arrivés, le 5 mars, aux portes du chef-lieu de la Gironde, le prince fit son entrée à cheval, au milieu d’un nombreux état-major, et la

  1. Le Moniteur du mois de mars 1815 présente à ce sujet de curieux et tristes enseignements. Ses colonnes, du 10 au 20, sont absorbées par de nombreuses Adresses dont les signataires, généraux ou officiers, administrateurs ou employés, magistrats ou membres de corporations judiciaires, injurient Napoléon et promettent aux Bourbons une fidélité et un amour éternels. Du 20 au 31, d’autres Adresses, émanées des mêmes autorités, signées des mêmes hommes, maudissent les Bourbons et proclament Napoléon le dieu tutélaire de la France ; il en est qui ne présentent pas deux jours d’intervalle. Bien mieux : le voyage de Napoléon avait été si rapide, qu’un grand nombre d’Adresses à Louis XVIII n’arrivèrent à Paris qu’après son départ et furent remises à l’Empereur en même temps que de nouvelles Adresses votées à ce dernier par les mêmes corps constitués, les mêmes généraux, les mêmes officiers et les mêmes fonctionnaires. Le secrétaire du cabinet, chargé du dépouillement, en fit la remarque à Napoléon, qui lui répondit avec un sourire de pitié : Voilà les hommes !