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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 2.djvu/315

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— 1815 —

venait, presque seul, de reconquérir la France. Mon cher, me dit-il, le temps des compliments passé : ils m’ont laissé arriver comme ils les ont laissés partir. Parole caractéristique qui prouve que, s’il cherchait à recréer des illusions autour de lui, il ne s’en faisait aucune à lui-même et que, sans se tromper sur l’état moral du pays, il appréciait à leur juste valeur et la facilité qu’il avait rencontrée dans sa gigantesque entreprise et les démonstrations dont il avait été salué sur son passage : elle indiquait peut-être aussi les pressentiments qui dès lors l’agitaient. Il me parla ensuite du très-prochain retour de l’Impératrice et de son fils, en ajoutant quelques réflexions sur l’esprit de famille de la maison d’Autriche ; et il en revint à la question qui m’était personnelle. Je ne crains pas de dire que l’espèce de prestige qu’il exerçait était irrésistible lorsqu’il y joignait le langage de l’affection. Je n’étais pourtant pas convaincu ; mais, quelle que fût mon opinion, étais-je aussi libre dans mon choix que je l’avais cru d’abord ? La France était abandonnée par le roi, par les princes, par les ministres ; je pouvais, du moins pour ma part, diminuer les inconvénients d’un tel abandon en prévenant quelque désordre là où les conséquences du désordre sont plus graves et laissent plus de traces. N’avais-je pas à me défier de moi-même ? Ne serais-je pas trop dominé, en résistant, par ce désir, ce besoin de repos qui me poussaient vers la retraite ? et puis n’y avait-il pas une sorte de lâcheté à refuser sa part de danger ; une sorte d’ingratitude à déserter, dans un pareil moment, celui auquel on avait voué ses services pendant tant d’années ? Je ne sais ; mais je sentis qu’il pouvait y avoir quelque mérite à céder, et je cédai[1]. »

Tous les anciens collègues du comte Mollien n’eurent pas son dévouement ou son courage ; Napoléon, malgré ses efforts, ne put compléter son ministère le soir même de son arrivée ; le Moniteur du lendemain, 21 mars, annonça seulement les

  1. Mémoires d’un ministre du Trésor, par le comte Mollien, t. IV.