Page:Vauvenargues - Œuvres posthumes éd. Gilbert.djvu/167

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CORRESPONDANCE. 161 imputer la faute, car j’ai toujours mal aux yeux, et ils ne veulent ni lire ni écrire; mais je les y force quelquefois, et . j’ai acheté des lunettes, dont je me sers, comme un_homme de cinquan te ans. . Vous ne croyez peut-etre pas etre aussi a plaindre que vous le dites, dans les passions qui vous obsedeut; mais je vous prendspar vos paroles, et je vous plains de bonne foi. Que faites-vous a Bordeaux ? ·il y a un an, que vous y etes; n’en avez-vous pas encore épuisé tous les agréments? Avez-vous oublié .qu’il est un pays ou vous trouveriez les memes plaisirs, avec plus de variété, sans quitter le soin de votre fortune, ni celui de cultiver votre esprit, et sans séparer, comme vous faites, les objets de vos pas- sions? Quand vous ne prendriez que les mauvais tours de phrase et l’accent du Bordelais, et ne perdriez pas de cent autres cotés, vous seriez toujours blamable du long sé- jour que vous y faites. Vous dites qu’il y a beaucoup de gens d’esprit, des gens de lettres, etc. : je le crois, mais pensez-vous qu’a Paris il n’y en ait pas davantage, et que cette grande ville ne rassemble pas des bommes ex- cellents dans tous les genres, ce qu’on ne trouve dans aucune province? ll est bon de les connaitre, je dis les provinces, parce que chacune d’elles renferme son instruc- tion, qu’elle a ses mueurs, ses préjugés, son caractere par- ticulier, ses lois, son gouvernement, et qu’on s’instruit, sur les lieux, bien mieux qu’on ne fait ailleurs, et avec bien moins de peine; outre que tous les provinciaux n’ayant pas les dehors trompeurs qui confondent les gens du monde, la diiférence que la nature a mise entre les bommes est bien ` plus sensible en eux ; mais, des qu’on en a tire les lumieres que l’on cbercbe, il faut les fuir rapidement, de peur de se gater par la contagion de leurs défauts, qui sont toujours supérieu rs a leurs bonnes qualités. Dans les commencements, on en est si blessé, qu’on ne craint pas cette contagion; ce- pendant, on s’y accoutume, parce qu’on ne voit rien de mieux, et, ensuite, on les imite; enlin, je ne crois pas qu’il -