Page:Vauvenargues - Œuvres posthumes éd. Gilbert.djvu/168

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

152 CORRESPONDANCE. ` y ait rien de plus dangereux, et qui rétrécisse tant l’espi·it, . que de vivre toujours avec les memes gens. C°est un dan- ger qu’on ne court point A Paris, A moins qu’on ne le veuille bien, et on y trouve taut de differences dans les mceurs, dans les gottts; dans les opinions, qu’au milieu de cette bi- . garrure, on demeure maltre de soi; on n’imite que ce qu’on vent imiter, et les differences intinies qu’on a toujours sous les yeux étendent l’esprit, l’éclairent, et Yempechent de se prévenir. Et quel spectacle n’est—ce pas que cette variété! Quel agrément de pouvoir vivre avec des hommes de tous les états, de toutes les provinces, de tontes les nations, et de réunir, en un point, tous les rayons de lumiére épars dans cette multitude, qui renferme en son sein toutes les con- naissances, tous les sentiments, et tous les talents du monde! - Mais, il y a des femmes trop aimables A Bordeaux! il est diliicile de s’en détacber I — Est·ce qu' il n’y en a pas ailleurs, qui, avec autant de beauté, ont plus de délicatesse, plus de monde, plus de tour, plus de rafiinement dans l’esprit, et . dont le commerce vous serait aussi avantageux qu’agréable? , Qu’est devenue votre ambition? elle est donc tout A fait E éteinte 7 ne songez-vous jamais que vous pourriez ·aimer E ailleurs, etre heureux, jouir de meme, et faire servir vos · plaisirs A votre fortune *? p Vous voyez, mon cher Mirabeau, que je vous parle A E cmur ouvert, et sans craindre le ridicule qu’on peut jeter p sur le sérieux qui est l’Ame de cette lettre; car il y a un air et un ton dogmatiques dans tout ce que je viens de dire, I _ qui fait comme un gros nuageet un poids sur mes paroles; ` mais l’amitié ne cherche point de tours, et je me‘fais une ‘ vanité de vous parler son langage. J’espere que vous sen- tirez, dans la naiveté de mes expressions, la sincérité de i mes sentiments. Adieu, mon cher Mirabeau. • Les roles sont changes; c‘est Vauvenargues qui préche, ici, Pambition; sachant que Mirabeau ne peut se passer de plaisirs, il vent, du moins, qu'il fasae servir ses plaisirs ci sa fortune. Nous avons remarqué ailleurs (voir Village, page xxxnv) que Vauvenargues ne négligo rien dans l’ame humaine, et que, sauf direction, il pretend tirer parti de toutes les passions. -— G. _