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Page:Vavasseur - chatelaine un jour.djvu/93

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qu’elle eût la force de s’enfoncer dans le couloir sombre.

Elle montait, l’âme ravagée par l’odeur de poussière, par les murs lépreux, par les cris des gens du deuxième étage qui commençaient une scène de ménage, par les pleurnicheries des gosses du troisième, par le silence du quatrième où, derrière cette porte, deux pauvres vieux grelottaient de froid, sans soupe pour ce soir, car il y avait des mois qu’ils ne pouvaient plus faire qu’un seul repas par jour. Colette eût volontiers pleuré de toute cette misère, de cette médiocrité des jours sans soleil, de ce vide qu’elle sentait en elle.

Elle ouvrit la porte de son logement et, comme un papillon attiré par la lumière, elle s’avança dans une demi-obscurité jusqu’à l’immense baie qui s’ouvrait sur Paris. Un Paris nocturne au ciel transparent. Un Paris fait des blocs cyclopéens des immeubles qui escaladaient la Butte, avec des carrefours de lumière poudreuse, des carrés sombres et des jaillissements géométriques de néon rouge, et bleu.

Combien de temps resta-t-elle collée à la vitre ? Elle s’en arracha enfin et, tandis qu’elle se dirigeait vers l’interrupteur pour allumer la lumière, elle dit :

« C’est bête d’être pauvre. Si j’étais riche, je saurais bien si c’est lui que j’aime. »