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Page:Verhaeren - Œuvres, t9, 1933.djvu/146

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œuvres de émile verhaeren

Frappe, d’un geste vain, le vide à l’aventure.
Une flamme, soudaine, envahit les pâtures :
Le sot du bourg, sans qu’on le voie, a mis le feu
À la grange du coin, où s’étendent les mares ;
Il danse, et ses deux poings entrechoquent deux jarres.
Et le flot monte encore, et monte
D’une poussée infatigable et prompte.

Là-haut des vieilles gens sont grimpés sur leur toit ;
On les surprend, à la lueur de l’incendie,
Levant éperdument vers Dieu leurs mains grandies.
Le chaume entier s’enfonce et cède sous leur poids.
Leurs pieds brûlent ; l’horreur bouleverse leurs faces ;
Leurs poings, pour ne plus voir, s’enfoncent dans leurs yeux ;
La poutre craque et puis se fend par le milieu ;
Alors un cri si noir troue au cœur tout l’espace,
Et tant de peur humaine en ce seul cri s’amasse,
Qu’à l’entendre monter le silence se fait.

Enfin, l’aube paraît :
Au bas d’un ciel d’encre et de cendre,
Le flot, sombre et sournois,
Qui s’acharna contre ce coin de Flandre,
À bout de rage et de haine sauvage,
Décroît.