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Page:Verhaeren - Œuvres, t9, 1933.djvu/205

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les plaines


L’aîné haussa les épaules et ne répondit pas.

L’une des sœurs violemment saisit son bras,
Et lui tendant le poing, comme un morceau de haine,
Jura : « Si notre terre était vendue un jour,
Il ne s’y ferait plus ni moisson, ni labour,
Et la mort seule aurait pour soi tout le domaine. »

L’aîné, qui la savait sorcière, eut un sursaut ;
Mais sa colère et sa rancune étant trop fortes,
Il fit un geste bref et lui montra la porte.

Alors ce fut à qui lui crierait le plus haut :
Qu’il était fourbe et ladre et doublement infâme.
On lui reprochait tout : sa ruse et son argent ;
On lui jetait au front ce que disaient les gens
De sa fille deux fois mère et de sa femme
Dont le village entier avait connu le lit.
Lui seul, depuis vingt ans, les avait tous salis.
Les yeux luisaient, les poings serraient leur rage,
Des coups brusques sonnaient sur la table de bois
Et la maison tremblait du seuil jusques au toit,
Tant s’amassait de hargne en ce funèbre orage.

Oh ! ce combat sinistre et rauque, à volets clos,

Dans le silence entier des campagnes massives ;