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Page:Verhaeren - Œuvres, t9, 1933.djvu/264

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œuvres de émile verhaeren


De la ferme tuée et de la grange morte,

Avec ses blés, ses avoines, ses seigles roux,
Avec ses foins serrés en tas contre les portes,
Plus rien, quand vient la nuit, ne demeure debout.

Dans le fournil, la poutre énorme et transversale,
Tel un épieu noirci, perce encor le pignon ;
Et la vierge Marie, au sceptre de laiton,
Seule demeure intacte au fond de la grand’salle.

Meubles sauvés : bahuts, tables, chaises, fauteuils,
Sont échoués, lamentables, au long des seuils ;
Et près des grands fumiers de la cour encombrée
Se carre un lit dont la paillasse est éventrée.

Or, sur le coffre assis, le coffre aux clairs deniers,
La fermière, ses trois filles et le fermier,
Devant l’étonnement des sournoises voisines,
Se lamentent à grands gestes sur leur ruine.

Tandis qu’au bord du puits, près du chenil, l’aïeul,
Qui alluma, sans rien en dire, à lui tout seul,
La grange et les moissons largement assurées,
Serre de ses deux mains maigres ses deux genoux
Et tire avec grand soin de ses rouges yeux fous

Une douleur abondamment désespérée.