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œuvres de émile verhaeren


Mais je suis né, là-bas, dans les brumes de Flandre,
En un petit village où des murs goudronnés
Abritent des marins pauvres, mais obstinés,
Sous des deux d’ouragan, de fumée et de cendre.

Les marais noirs, les bois mornes et les champs nus,
Et novembre grisâtre et ses cheveux de pluie,
Et les aurores d’encre et les couchants de suie,
Ma brève enfance, hélas ! les a trop bien connus.

Toujours l’énorme Escaut roula dans ma pensée.
L’hiver, quand ses glaçons où se miraient les astres
Craquaient et charriaient leurs blocs vers les désastres,
J’étais heureux et fort d’une joie angoissée.

L’été, les bateaux lourds qui trouaient les lointains
Vibraient moins de leurs mâts, où flottaient des emblèmes,
Que mon cœur exalté ne vibrait en moi-même
Pour quelque lutte intense et quelque grand destin.

Les mobiles brouillards et les volants nuages
De leurs gestes puissants m’ont ainsi baptisé,
Et mon corps tout entier s’est comme organisé
Pour vivre ardent, sous leur tumulte et leurs orages.