Page:Verhaeren - Les Plaines, 1911.djvu/198

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Chansons de muletiers en des cabarets roux,
Et vous, femmes, dont la démarche était hautaine,
Quand vous montiez, la jarre au flanc, vers les fontaines,
Que de fois ma mémoire a reflué vers vous !

Mais je suis né, là-bas, dans les brumes de Flandre,
En un petit village où des murs goudronnés
Abritent des marins pauvres mais obstinés,
Sous des cieux d’ouragan, de fumée et de cendre.

Les marais noirs, les bois mornes, et les champs nus,
Et novembre grisâtre et ses cheveux de pluie,
Et les aurores d’encre et les couchants de suie,
Ma brève enfance, hélas ! les a trop bien connus.

Toujours l’énorme Escaut roula dans ma pensée.
L’hiver, quand ses glaçons où se miraient les astres
Craquaient et charriaient leurs blocs vers les désastres,
fêtais heureux et fort d’une joie angoissée