Page:Verhaeren - Les Tendresses premières, 1904.djvu/20

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Je me souviens aussi de cette histoire
Où deux enfants, les doigts unis, mouraient
D’un même coup de hache, un soir, dans la forêt ;
Et je voulais mourir ainsi, et je voulais
Dormir ainsi, avec toi seule,
Loin du monde, sans qu’on le sût jamais.


De ceux que nous avons connus, c’est ton aïeule
Qui me parle le plus souvent,
Avec son cœur et son esprit fervents,
Des ans inoubliés qui furent notre enfance.
À l’entendre, je revois tout :
Le bourg de Saint-Amand, avec le fleuve au bout,
Le Christ sanglant du carrefour, et les deux lances
Des peupliers qui dominaient les jardins clairs.
Tous les bruits familiers se réveillent dans l’air :
Le han du forgeron sur son enclume lasse,
La voix des passeurs d’eau, le chant du jardinier
Rangeant des melons d’or, au fond de son panier,
Et le pas du sonneur, sur le trottoir d’en face.


Quand je ferme les yeux,
J’entends encor
Le choc des fers et des essieux,

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