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Un amateur d’Anvers m’ayant offert, dûment,
Deux oiseaux fiers qui s’en venaient de Numidie
Et trois paons fous dont les plumes, soudain brandies
Ouvraient, dans l’ombre, avant le soir, un firmament,

On les lâcha, l’été, pendant tout un semestre,
Libres et familiers, parmi les gazons roux,
Si bien que le jardin se changea tout à coup,
Pour mon esprit naïf, en paradis terrestre.
Les parterres, les tonnelles et les bosquets,
Et les roses, et les soucis et les bouquets
Sveltes et réguliers des dernières jacinthes,
Tout m’apparut énorme, étrange et merveilleux :
Mes oiseaux clairs et fous me semblaient être ceux
Mêmes dont on parlait, dans mon histoire sainte.

Depuis ce temps, mon rêve à mon désir tressé,
Illumina tout le jardin de féeries.
J’y vis des animaux fantastiques passer,
Comme on en voit sur le fond d’or des broderies.
Je surprenais, dans la forme des massifs lourds,
Soit la croupe d’un tigre ou l’allure d’un ours ;