Page:Verhaeren - Les Visages de la vie, 1899.djvu/37

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La fièvre au cours de la folie et de la haine
M’entraîne
Et me roule, comme un caillou, par les chemins.
Tout calcul tombe et se supprime,
Le cœur bondit, soit vers la gloire ou vers le crime ;
Et tout à coup je m’apparais celui
Qui s’est, hors de soi-même, enfui
Vers le sauvage appel des forces unanimes.

Soit rage, ou bien amour, ou bien démence,
Tout passe, en vol de foudre, au fond des consciences,
Tout se devine, avant qu’on ait senti
Le clou d’un but profond entrer dans son esprit.

Des gens hagards échevèlent des torches,
Une rumeur de mer s’engouffre, au fond des porches,
Murs, enseignes, maisons, palais, gares,
Dans le soir fou, devant mes yeux, s’effarent ;
Sur les places, des poteaux d’or et de lumière
Tendent, vers les cieux noirs, des feux qui s’exaspèrent ;
Un cadran luit, couleur de sang, au front des tours ;
Qu’un tribun parle, au coin d’un carrefour,
Avant que l’on comprenne un sens à ses paroles,
Déjà l’on suit son geste — et c’est, avec fureur,
Qu’on jette à terre et qu’on outrage un empereur,
Qu’on brise et qu’on abat le socle, où luit l’idole.