Venaient boire, le soir,
Là bas, très loin, à l’autre bout du monde ;
Ô mer, qui fus ma joie effarée et féconde,
Ô mer, qui fus ma jeunesse cabrée,
Ainsi que tes marées
Vers l’aventure et les conquêtes,
Accueille moi, ce jour, où tes eaux sont en fête !
J’aurai vécu, l’âme élargie,
Sous les visages clairs, profonds, certains,
Qui regardent, du haut des horizons lointains,
Surgir, vers leur splendeur, notre énergie.
J’aurai senti les flux
Unanimes des choses
Me charrier en leurs métamorphoses
Et m’emporter, dans leur reflux.
J’aurai vécu le mont, le bois, la terre ;
J’aurai versé le sang des dieux dans mes artères ;
J’aurai brandi, comme un glaive exalté,
Vers l’infini, ma volonté ;
Et maintenant c’est sur tes bords, ô mer suprême,
Où tout se renouvelle, où tout se reproduit,
Après s’être disjoint, après s’être détruit,
Que je reviens pour qu’on y sème
Cet univers qui fut moi-même.
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