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les moines

Rien enlevé de grand, de féroce et de gourd
Au monde, où se taillaient les blocs des épopées.
Quelque moine en était le dompteur rouge et lourd,
Mais moins à coups de croix qu’à taillades d’épées,
Il inspirait, au peuple agenouillé, frayeur ;
Aux grands, respect ; aux chefs, il parlait de puissance
Qui leur venait d’en haut et plongeait en torpeur
Les serfs dont il fallait étouffer la croissance.

Et naquirent alors des cloîtres fabuleux,
En des enfoncements de bois et de mystères :
D’abord gardiens sacrés de morts miraculeux,
Ils vécurent ayant des rois pour donataires,
Et des princes, vassaux de Dieu, pour protecteurs ;
Ils devinrent château, puis bourgade et village ;
Ils grandirent — cité géante — et leurs tuteurs
Mirent le féodal pouvoir en attelage
Au-devant de leur brusque et triomphal soleil.
Et, dans ce flamboiement de grandeurs monastiques,
Sur le trône de pourpre et sous le dais vermeil,
S’élargissait l’orgueil des grands abbés gothiques :
Hommes sacrés, couverts du manteau suzerain,
Éblouissant leur temps de leurs majestés pâles
Et, pareils à des dieux de granit et d’airain,